Equipe VST
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Message: (p541574)
Posté le: 15. Fév 2021, 21:51
Merci. Ce message m'a été utile ! ont dit : CélineR, fanfandu03, Sloubi
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Article issu du webinaire VST "Cancer réfractaire de la thyroïde", janvier 2021
- Vidéo : https://youtu.be/io55K71g6X8
- Présentation Powerpoint
- Transcription des Questions-Réponses
1) Qu'est-ce qu'un cancer réfractaire de la thyroïde ? *
Petit rappel: un cancer différencié de la thyroïde (papillaire, folliculaire, oncocytaire et peu différencié) est un cancer qui s'est développé aux dépens des cellules folliculaires de la thyroïde dont il conserve certaines fonctions normales telles que la production de la thyroglobuline (Tg), la capacité de capter l’iode radioactif et la sensibilité à la stimulation par la TSH.
Un cancer est dit réfractaire :
1) lorsqu’il est non opérable dès le début,
2) ou lorsqu’il rechute (= récidive) localement et est non opérable,
3) ou lorsqu’il y a des métastases à distance, insensibles au traitement par l’iode radioactif (= iode 131). Cette insensibilité à l’iode peut être définie par :
- La présence de métastases locales ou à distance qui ne fixent pas l’iode dès la 1ère irathérapie,
- La perte de la capacité de fixation de l’iode radioactif par les métastases après un ou plusieurs traitements par l’iode radioactif
- La progression tumorale malgré le traitement par l’iode radioactif (progression de la maladie dans les 12 mois suivant un traitement par l’iode 131, ou persistance de la maladie après l’administration d’une activité cumulée de 600 mCi soit 6 cures «standards»)
En tout les cas ce n'est pas le taux de Tg qui définit le caractère réfractaire ou non. La Tg permet de voir la progression, mais on se fie surtout aux critères RECIST (volume des métastases).
Un cancer anaplasique de la thyroïde est également développé aux dépens des cellules folliculaires de la thyroïde, mais il a perdu toutes les fonctions de la cellule normale, et n’est donc jamais sensible au traitement par l’iode radioactif. Pour cette raison il est aussi classé parmi les cancers thyroïdiens réfractaires.
Enfin, certains cancers médullaires de la thyroïde localement avancés ou métastatiques et non accessibles aux traitements standards sont aussi classé parmi les cancers thyroïdiens réfractaires.
* Définition d'après le livret du réseau TUTHYREF: https://www.tuthyref.com/pdf/thyroide_r%C3%A9fractaire_2018.pdf
2) Quelle est l'incidence de ces cancers réfractaires en France ?
Il y a chaque année environ 10 000 cancers de la thyroïde de tout type par an en France. Parmi eux, il y a environ 400 noveaux cas de cancers réfractaires dont:
- 250 nouveaux cas en France (1250 en Europe) de cancers de la thyroïde différencié d’origine folliculaire réfractaires
- 50 cancers médullaires
- 100 cas (500 en Europe) de cancers anaplasiques
3) Comment diagnostique-t-on ces cancers réfractaires ?
Plusieurs examens sont pratiqués pour comprendre la cause des symptômes, déterminer l’extension de la tumeur au niveau cervical et rechercher des métastases à distance.
- L’examen clinique : palpation du cou, évaluation de l'état général, de qualité de la respiration, de la voix et de la déglutition. Parfois un examen spécialisé du larynx et des cordes vocales avec un nasofibroscope.
- Le dosage sanguin: il comprend le dosage de la Tg plasmatique, des anticorps anti-Tg et de la TSH (Thyréostimuline). Dans les cancers réfractaires différenciés et peu différenciés, il est recommandé d’avoir un taux de TSH diminué (proche de 0,1μU/mL), puisque la TSH favorise la prolifération des cellules thyroïdiennes. Parfois, le dosage de calcium peut être prescrit pour évaluer le bon fonctionnement des glandes parathyroïdes qui peuvent être altéré après la chirurgie de la thyroïde.
- Les examens d’imagerie qui ont pour objectif de préciser le siège de la tumeur au niveau cervical et des localisations tumorales à distance. Plusieurs examens peuvent être effectués, et leur indication respective est déterminée par le médecin en se basant sur les symptômes et sur les résultats des marqueurs biologiques. Parmi eux:
- L’échographie du cou,
- Le scanner (ou tomodensitométrie TDM) du cerveau, du cou, du thorax, de l’abdomen, du pelvis, le plus souvent avec injection de produit de contraste radiologique,
- L’imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau, du rachis ou d’autres régions osseuses, ou du foie,
- La Tomographie par Emission de Positons (TEP ou PET-Scan) au Fluoro-desoxy-glucose (FDG)
- Eventuellement la scintigraphie. Une scintigraphie diagnostique à l'iode 124 peut être intéressante, mais l'iode 124 n'est pas disponible facilement, seulement dans certains centres et il pose des problèmes de radioprotection.
4) Qu'est-ce que le réseau « TUTHYREF» ?
TUTHYREF (TUmeurs THYroïdiennes REFractaires) est un réseau national de médecins spécialistes de la prise en charge des cancers réfractaires de la thyroïde. Il s’agit d’un réseau «Tumeurs rares» crée en 2009 qui bénéficie du soutien financier de l’INCa (Institut National du Cancer).
Son objectif est d'harmoniser les modalités de prise en charge des patients et de favoriser l'accès aux innovations thérapeutiques.
Le réseau comprend 28 centres de compétence répartis sur l'ensemble du territoire français de métropole et d'outre-mer (1 centre expert par région en France métropolitaine, 1 par groupe hospitalier universitaire en Ile de France et 1 par DOM-TOM, soit au total 28 centres). Le centre expert national est Gustave Roussy: il anime le réseau et est responsable de l’atteinte des objectifs.
Chaque centre expert du réseau TUTHYREF est composé par un endocrinologue, un chirurgien et un médecin nucléaire, auxquels se joignent un oncologue médical et un radiothérapeute, un radiologue, un anatomo-pathologiste et un biologiste.
Le réseau se réunit deux fois par mois par le biais d'une web-conférence, pour proposer une prise en charge optimisée des patients. Au cours de ces réunions, les centres experts régionaux présentent les dossiers médicaux des patients déjà présentés dans leur Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) régionale et discutent ensemble des modalités de prise en charge les plus adaptées (traitement, inclusion dans un essai thérapeutique, suivi, prise en charge palliative…). L’objectif de la RCP nationale est ainsi de standardiser les modalités de leur prise en charge au niveau des centres du réseau, et de favoriser l’accès des patients aux innovations thérapeutiques.
Lien vers le site internet du réseau TUTHYREF : https://www.tuthyref.com/component/.....mbres-tuthyref?Itemid=435
5) Quels sont les traitements possibles à ce jour pour ces cancers réfractaires ?
L'objectif est de contrôler le cancer au niveau cervical et/ou des métastases à distance ET de maintenir une qualité de vie correcte.
En fonction de la présence de symptômes, de l’importance du volume des métastases, de la vitesse d’évolution des lésions tumorales, de l'âge, des comorbidités et du souhait du patient, le médecin peut proposer soit une surveillance active ou alors un traitement spécifique. Les propositions sont discutées lors d’une RCP spécialisée régionale et/ou nationale (RCP TUTHYREF).
Une surveillance active comprendra un examen clinique, le dosage des marqueurs biologiques (TSH, Tg et anticorps anti-Tg) et des examens d’imagerie. Le type d’examens réalisés et le rythme de surveillance sont décidés en fonction du volume des métastases et de leur rapidité d’évolution. Il varie le plus souvent entre 3 et 6 mois. Il est ainsi possible de se contenter de surveiller activement, et ce parfois pendant des années, des ganglions métastasés ou des métastases au poumons, à condition que soit stable et que cela n'évolue pas vite. Il faudra veiller à garder la TSH freinée (inférieur à 0,1 µU/mL) pour éviter toute stimulation.
Parmi les traitements spécifiques :
Traitements loco-régionaux :
- Chirurgie si la récidive du cancer de la thyroïde réfractaire est localisée et qu’elle est jugée opérable par le chirurgien.
C'est le cas notamment en cas de métastase ganglionnaire dans les ganglions au niveau du cou ou du médiastin (dans ce s'ils sont haut situés il est possible de passer par la cicatrice de la thyroïdectomie, si c'est plus bas situés, il faut une sternotomie par un chirurgien thoracique).
- Radiothérapie locorégionale par rayonnement externe. La radiothérapie a pour but de détruire les cellules cancéreuses dans le territoire irradié. Les effets indésirables de la radiothérapie sont liés à l’irradiation des tissus normaux dans la zone traitée (brûlure cutanée, douleurs, difficultés à déglutir, fatigue, fibrose de la peau et des vaisseaux). Aujourd'hui il existe la radiothérapie stéréotaxique qui est une radiothérapie externe mais avec une technique d’irradiation de haute précision (tomothérapie, Cyber-Knife, protonthérapie) permettant de délivrer une dose tumoricide sur une cible tout en préservant les tissus sains adjacents.
- Traitements locaux radioguidés (le plus souvent utilisés pour détruire localement des métastases du cancer de la thyroïde au niveau osseux ou pulmonaire): la radiofréquence, la cryoablation, les microondes. Au niveau osseux, ils sont parfois associés à des injections de ciment (cimentoplastie) pour consolider l’os. Ces traitements sont pratiqués par les radiologues interventionnels avec un guidage par scanner, sous anesthésie. Ils nécessitent une courte hospitalisation.
Traitements généraux :
- Thérapies ciblées : Les thérapies ciblées sont des traitements administrés par voie orale. Les médicaments les plus utilisés sont des Inhibiteurs de la Thyrosine Kinase (ITK), ils inhibent le développement de vaisseaux dans la tumeur (qui permettent au cancer de se nourrir et de se développer dans d’autres territoires de l’organisme) et ciblent des molécules impliquées dans la croissance des cellules cancéreuses. Dans les cancers de la thyroïde différenciés et peu différenciés réfractaires, 2 thérapies ciblées ayant l’autorisation de mise sur le marché sont possibles: le sorafénib et le lenvatinib. Le sorafénib (Nexavar®) est pris à la dose initiale de 800 mg par jour en 2 prises orales. Les effets indésirables les plus fréquents sont les troubles digestifs (diarrhée), les éruptions cutanées, le syndrome main-pied (irritation de la paume des mains et de la plante des pieds, ampoules, crevasses) et l’hypertension artérielle. Le lenvatinib (Lenvima®) est administré à la dose initiale de 24 mg par jour, en une prise orale. Pour le cancer médullaire, il existe d'autres molécules, notamment le vandetanib (Caprelsa®) et le cabozantinib (Cometriq®).
Les effets indésirables les plus fréquents sont l’hypertension artérielle, la diarrhée, la fatigue, la perte d’appétit et la perte de poids. Lors de l’initiation de ces traitements, une surveillance rapprochée est mise en place pour vérifier la bonne tolérance du traitement, dépister et traiter les éventuels effets indésirables et adapter la dose du traitement quand ceci est nécessaire. La surveillance comprend un interrogatoire, un examen clinique, des prélèvements biologiques et une surveillance cardiaque (électrocardiogramme, échographie cardiaque) et un bilan d’imagerie tous les 2 à 3 mois pour contrôler l’efficacité du traitement.
Vu que les thérapies ciblées ont certains effets indésirables listés ci dessus, il ne faut pas commencer "trop tôt" (pour ne pas risquer d'abandonner rapidement) mais seulement si les métastases ne sont pas traitables localement ET qu'elles progressent ET qu'elles sont symptomatiques (et si leur localisation ne représente pas de contre-indication, comme les métastases cérébrales avec un risque de saignement).
- Chimiothérapie : c'est un traitement général qui agit sur la multiplication des cellules cancéreuses de l’organisme. Elle est systématiquement discutée dans les cancers anaplasiques de la thyroïde (en association avec la radiothérapie du cou) et peut également l’être dans les cancers différenciés, notamment lorsque les thérapies ciblées sont contreindiquées ou si l’évolution est rapide.
- Essais thérapeutiques : La recherche de nouveaux traitements nécessite la mise en place d’essais thérapeutiques (ou protocoles) pour évaluer l’efficacité de ces traitements.
Il y a beaucoup de recherche en cours, et il y a eu beaucoup de progrès notamment ces 10 - 15 dernières années. Avant les années 2000, on ne disposait d'aucun traitement en cas de maladie qui ne fixait pas l'iode.
Maintenant, il existe plusieurs thérapies ciblées. La recherche continue (recherche préclinique, essais cliniques phase 1, 2, 3, mise sur le marché...) et le lien ci dessous regroupe les essais cliniques en cours:
https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Le-registre-des-essais-cliniques 6) Si après chirurgie ou traitement on n'observe plus de lésions secondaires, est-ce qu'on peut espérer être guéri ?
C’est une question légitime fréquemment posée par les patients. On surévalue souvent les possibilités diagnostiques de l'imagerie, qui ne permet pas de "tout" voir , notamment en cas de lésions millimétriques. Le fait qu'on ne voie plus RIEN à l'imagerie n'est pas une garantie à 100% qu'il ne reste pas de lésions millimétriques, qui pourraient évoluer et donner une récidive 2, 5 ou 10 ans plus tard.
Une récidive ne part jamais de "rien", quelques cellules ont certainement subsisté, même si on était officiellement déclaré en rémission.
7) Peut-on amener un cancer réfractaire à fixer de nouveau l’iode radioactif ?
Dans le cas de lésions métastatiques dans le cancer différencié qui ne fixent pas/plus l'iode 131, on cherche actuellement des possibilités de "redifférencier" ces cellules, en fonction des anomalies génétiques (mutations BRAF/RAS), avec certaines thérapies ciblées (Dafrafenib, Trametinib). C'est notamment le cas dans l'essai thérapeutique de rédifférenciation MERAIODE. Les résultats de cet essai seront présentés au congrès Endocrine Society 2021. Renseignements sur cet essai : https://www.gustaveroussy.fr/fr/igr-2527
D'autres essais avec les mêmes techniques auront lieu très bientôt.
Ces traitements de rédifférenciation peuvent déjà, sur proposition de la RCP, être proposés à certains patients (ceux avec des métastases nombreuses mais relativement petites qui ne captent pas l'iode et qui ont certaines mutations somatiques). En cas de métastases grosses/très progressives, on envisagerait plutôt directement un traitement avec les inhibiteurs de la tyrosine kinase.
8) Quand fait-on une recherche de mutation génétique ?
Les techniques de biologie moléculaire ont beaucoup évolué et permettent de rechercher de plus en plus d'anomalies. Mais cela coute cher, il faut la technologie, le service, les produits...Donc il faut faire cette recherche quand il y a un intérêt à la faire. Lorsqu'un patient est à haut risque de récidive (métastases à distance, et d'autant plus qu'elles ne fixent pas l'iode 131), il faut chercher les mutations, soit sur la tumeur primitive, soit sur les métastases (il peut y avoir une évolution et une discordance entre les deux). Si la tumeur primitive est très ancienne (> 10 ans), parfois le tissu n’est pas conservé et on fera alors une biopsie de la métastase.
Un groupe de TUTHYREF travaille actuellement sur un article qui va résumer quelles sont les anomalies moléculaires dans le cancer de la thyroïde et quand les rechercher (publication prévue courant 2021).
9) Le vaccin anti-Covid est-il conseillé en cas de cancer réfractaire? Est-il compatible avec les thérapies ciblées ?
Oui, il est conseillé pour tout le monde. Il n’y a aucune contre-indication particulière en cas de maladie ou cancer de la thyroïde. Par ailleurs, le cancer de la thyroïde ne représente pas un risque particulier concernant le Covid. Et il n'y a aucune contre-indication en cas de traitement par thérapie ciblée.
10) Quelle est l’'espérance de vie lorsqu'on a un cancer thyroïdien métastatique réfractaire ?
C’est TRES variable ! Le cancer de la thyroïde est en général relativement lent/peu agressif, souvent de petites lésions restent stables pendant des années et n'affectent pas l'espérance de vie. Certains patients peuvent avoir des formes plus agressives, et avant l'arrivée des ITK, leur espérance de vie était réduite. Avec les ITK, il est souvent possible de faire diminuer et stabiliser les lésions pendant des années, parfois des dizaines d'années.
Un seul cancer est vraiment très agressif (très rare heureusement) : le cancer anaplasique, qui concerne surtout les personnes âgées.
11) Comment traiter les cancers anaplasiques ?
10 à 40% de ces cancers ont une mutation BRAF qui permet d'utiliser une combinaison de thérapies ciblées (Dabrafenib/Trametinib), actuellement à l'essai, on ne sait pas encore combien de temps cette réponse durera, mais c'est prometteur. En cas de découverte d'un cancer anaplasique, il faut chercher cette mutation. Il y a d'autres mutations ciblables, notamment les translocations de ALK, les fusions de RET – et dans ces cas, on peut proposer des thérapies très ciblées.
12) Quel est le service le plus spécialisé pour suivre un cancer de la thyroïde/ un cancer réfractaire ?
Le cancer de la thyroïde se trouve au carrefour de différentes spécialités (ORL, médecine nucléaire, endocrinologie, chirurgie), et pour les cancers réfractaires sont également associés les oncologues ou oncologues endocriniens. Cela dépend du centre où le patient est pris en charge. Historiquement, c'est souvent la médecine nucléaire qui s'occupe à la fois des cancers différenciés et des cancers réfractaires de la thyroïde. |
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