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Inscrit le: 09.03.18 Messages: 3448Basedow - Thyroïdect... Bordeaux |
Message: (p520314)
Posté le: 08. Déc 2019, 14:19
Merci. Ce message m'a été utile ! ont dit : dilette, Framboisine1, patsi57, Fanny CH
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À l'approche des fêtes et de leurs excès, une interview pleine du bon sens qui fait du bien 🥂
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Pr David Khayat : « La vie sans gras, ça doit être long… »
Fou de gastronomie, le cancérologue fustige une époque de plus en plus anxiogène à force de vouloir nier la mort.
Propos recueillis par Nicolas Bastuck et Thomas Mahler
A sa retraite, il passera son CAP de cuisinier. Longtemps chef du service d'oncologie de la Pitié-Salpêtrière, premier président de l'Institut national du cancer (INCa), auteur de best-sellers de vulgarisation (« Le vrai régime anticancer »), le Pr David Khayat est un bon vivant, ami de tous les grands chefs. Il fustige les injonctions hygiénistes qui nous poussent à une « extrême santé » morbide.
Le Point : Vous avez bien connu Jacques Chirac, avec qui vous avez lancé le plan cancer en 2003. Depuis sa mort, on célèbre le bon vivant qu'il était…
David Khayat : J'ai adoré Chirac, un homme qui aimait sincèrement les gens. J'ai la réputation d'être un gros mangeur, mais lui, c'était à un autre niveau [rires]. Un jour qu'on prenait l'avion à 9 heures du matin, il s'est avalé un nombre impressionnant de sandwichs. Il avait un coup de fourchette époustouflant. Il ne mangeait pas par boulimie. Il aimait le goût des choses et la convivialité, ce qui me l'a rendu encore plus sympathique.
La tendance est-elle aujourd'hui à l'hygiénisme ?
Je suis l'un de ceux qui ont le plus côtoyé la mort en quarante-cinq ans d'exercice. Quand j'ai débuté en cancérologie, tous les malades mouraient. J'ai vu disparaître des milliers de patients. Pour cette raison, vous trouvez peu de personnes qui aiment et défendent autant la vie que moi. Or je trouve que nous sommes en train d'évoluer vers une société totalement hygiéniste et stérilisée. Il faut rouler de moins en moins vite, ne plus fumer, ne plus manger trop. En plus, on s'y perd. Les uns fustigent le sucre, les autres le gras. On alerte sur la viande, puis on vous dit qu'il y a des pesticides dans les légumes. C'est pareil avec l'alcool. Il y a des repères de consommation admis mondialement, en moyenne, par jour, deux verres pour une femme et trois verres pour un homme. Je ne bois pas tous les jours, mais quand je bois il m'arrive de consommer plus de trois verres. Voudrait-on qu'on arrête de goûter à nos vins, qu'on cesse de se promener dans les vignobles en admirant les coteaux en Bourgogne à l'automne ? On finira tous par boire de l'eau, dans laquelle il y a d'ailleurs de l'arsenic.
Faut-il brûler sa vie par les deux bouts ?
Non, parce que ce serait la gâcher ! La vie est un cadeau. Il faut savoir en profiter, savoir chercher des moments d'exception, chacun à son niveau. Ce n'est pas forcément dans un 3-étoiles avec une romanée-conti. Il faut mourir en regrettant la vie, mais en ne regrettant rien de ce qu'on n'a pas fait, dans la mesure du raisonnable, bien sûr. Je m'autorise, et je n'ai pas honte de le dire, des gueuletons. En revanche, après un bon repas, je fais une diète hydrique pendant une dizaine d'heures et je saute le petit déjeuner ou le déjeuner. J'ai un poids stable depuis des années, avec quelques kilos en trop. Aller rechercher une extrême santé à tout prix me paraît malsain. La santé, c'est être bien dans son corps et être capable de faire ce qu'on a envie de faire : marcher, faire l'amour… Mais l'extrême santé, c'est un hygiénisme qui méprise la vie. Je vois des gens qui viennent me consulter avec une double peine : ils ont un cancer et en plus ils me disent : « Je ne comprends pas, je ne fume pas, je ne bois pas, je fais du sport, je suis mince. » Les gens n'ont simplement pas de notions de statistiques. Quand on vous dit que vous réduisez votre risque en adoptant tel comportement vertueux, le risque ne disparaît pas. Nous sommes dans une société de la peur, la peur de la viande, du soleil, de la pollution, des perturbateurs endocriniens… De tout ! Qu'on réduise par exemple la vitesse sur les routes pour la sécurité routière, très bien, mais n'oublions pas que l'innovation technologique a sauvé encore plus de vies avec la ceinture de sécurité, l'ABS ou les voitures plus robustes. Sur la cigarette, c'est moi qui, avec le plan cancer, ai mis en place les premières actions politiques en France à travers la hausse du paquet de cigarettes ou l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Mais, là encore, n'oublions pas l'innovation ! Tous les tabacologues ont protesté contre les cigarettes électroniques. Mais aujourd'hui, tous admettent que la cigarette électronique est un vrai progrès. La polémique actuelle sur sa dangerosité est d'ailleurs totalement fausse. Les cas aux Etats-Unis concernent des personnes qui avaient mis de l'huile de THC, c'est-à-dire de cannabis, dans le réservoir ou d'autres qui ont acheté leur réservoir en contrebande. Encore une fois, on a créé un climat anxiogène.
Comment expliquez-vous ce climat d'angoisse ?
Nous avons peur de tout, à commencer par la mort. Les gens ne la côtoient plus, ne la rencontrent plus, des générations entières ont vécu sans jamais avoir croisé un corbillard, comme disait Brassens. Elle est devenue une étrangère et ce refus de la mort vient de là. Aujourd'hui, on demande à la médecine de l'abolir. On voudrait ne plus mourir, ou tellement vieux qu'on ne s'en rendrait plus compte. Une société qui n'accepte plus la mort est une société qui va mal, car ce qui rend la vie si belle, c'est sa finitude, le fait qu'elle soit justement éphémère. Pour avoir rencontré souvent la mort, j'en accepte personnellement l'augure. Je suis serein, ce qui ne veut pas dire que je désire mourir.
L'année dernière, une étude publiée par « The Lancet » montrait que boire un verre par jour pendant un an augmente de 0,5 % le risque de développer un problème de santé (cancers, maladies cardio-vasculaires, AVC, cirrhose…).
Il y a des biais très forts dans ce genre d'études, comme celui de la sous-déclaration. En 2012, un chercheur californien, le Dr Arthur L. Kaltsky, a classé 400 000 volontaires en leur demandant s'ils buvaient zéro, un, deux, trois verres ou plus chaque jour. Dès le premier verre, il a constaté plus de cancers. Sauf qu'un jour il a rencontré dans son service à l'hôpital un patient en coma éthylique qui avait déclaré ne boire qu'un verre en moyenne. Il s'est rendu compte de l'ampleur de la sous-déclaration dans ce type d'enquête, car les gens minimisent ce qui est moralement condamnable. Quand ce chercheur a enlevé de la base de données toutes les personnes qui avaient déclaré boire un verre mais qui se sont retrouvées dans les fichiers pour état d'ébriété ou comas éthyliques, il n'a plus observé de différences entre zéro et un verre.
Vous défendez donc le verre de vin par jour ?
Je ne défends pas la consommation, je défends la liberté d'avoir une consommation modérée de vin. Quelqu'un qui boit en moyenne un verre ou deux par jour doit-il avoir la peur au ventre ? Non ! Mais je précise que cette liberté doit s'accompagner d'une bonne information.
La viande rouge est depuis 2015 placée en cancérigène probable par le CIRC (groupe 2 A). Qu'en pensez-vous ?
Ce rapport précise qu'aucune étude n'a statistiquement montré une augmentation des cancer du côlon chez les mangeurs de viande. Mais le CIRC évoque un mécanisme qui pourrait expliquer une augmentation, à savoir que le fer de l'hémoglobine présent dans le sang de la viande rouge est cancérigène, pour justifier ce classement. Cette peur a succédé à celle de la vache folle et s'accompagne aussi du discours écologiste qui explique, à juste titre, que la production de viande augmente le réchauffement climatique. Mais la plupart des études sur la viande sont américaines ! Or, quand un Américain et un Français parlent de la viande, ce n'est pas tout à fait la même chose : 100 grammes du filet de bœuf français, c'est 150 calories en moyenne ; 100 grammes de filet de bœuf américain, c'est 295 calories, le double. En France, c'est 4 % de matière grasse. Aux Etats-Unis, 24 %. En plus, ces études américaines ne parlent majoritairement pas de grammes, mais de « portions » de viande par semaine. La portion de viande en France, en moyenne, est de 90 grammes. Aux Etats-Unis, elle est de 200 grammes. A cela il faut ajouter le mode de cuisson : 70 % des Français mangent la viande crue ou saignante ; 70 % des Américains mangent la viande très cuite et marquée par la flamme. Dès que vous avez une marque noire sur un aliment, vous avez des hydrocarbures polycycliques très cancérigènes.
N'y a-t-il pas une contradiction entre votre métier de médecin et votre passion pour la gastronomie ?
Bien sûr ! Mais c'est ce qui m'a permis de survivre à mon métier. Pour tenir face à mes consultations, il fallait que je mange bien. Il y avait de bons bistrots à côté de la Salpêtrière et j'allais manger un plat du jour pour supporter toute cette tristesse et ce malheur face à moi, cette impuissance aussi. La plupart des grands cancérologues, mes maîtres, ont mal fini, parce que vivre avec l'échec, c'était très difficile. Aujourd'hui, nous avons de nombreux choix thérapeutiques. Mais il fut un temps où nous n'avions rien à proposer. La bouffe m'a aidé.
Bien vivre, bien manger, se faire plaisir, est-ce que ça peut aider à guérir ?
Je ne peux pas l'affirmer, mais, ce dont je suis sûr, c'est que l'inverse est vrai.
C'est-à-dire ?
Quelqu'un de triste, qui ne voudrait pas trouver de joie, qui vivrait dans la restriction du bonheur - et le bonheur, ce n'est pas seulement manger, ça peut être aussi aimer, lire ou voyager -, un patient qui se focaliserait uniquement sur sa maladie ou la mort à venir ne trouvera pas la respiration et l'énergie nécessaires pour le combat qu'il a à mener contre la maladie. Notre premier boulot en tant que cancérologue, c'est de donner ou de redonner au patient l'envie de continuer à vivre, malgré le traitement, les mutilations, les brûlures qu'on lui inflige ; la peur, aussi, que fait naître la maladie. Je leur dis en général : « C'est vrai que c'est difficile, on va vous accompagner à chaque instant, mais il va falloir que vous trouviez en vous une raison d'aimer votre vie, parce que c'est elle qui va justifier le prix à payer pour continuer à vivre. » Si ce que vous vivez ne vous apporte aucun bonheur, aucune joie, on n'y arrivera pas. Le métier d'oncologue, c'est d'accompagner les patients dans toutes les étapes. Au début, on lui dit qu'on on va essayer de le guérir. Puis la rechute survient et on lui promet de le faire vivre le plus longtemps possible. La maladie fait son œuvre et on lui dit qu'on va essayer de le faire vivre encore un peu, dans les meilleures conditions possibles. Enfin, quand tout a été tenté, on lui promet de l'aider à mourir dans la dignité. Que retenir de cela ? Que finalement chaque instant est bon à vivre. On essaie de faire durer, on fait ce qu'on peut, avec beaucoup de modestie et peu de moyens, mais, s'il y a un message que m'ont laissé tous ceux que j'ai vu mourir, c'est celui-ci : vous qui êtes encore en vie, profitez-en, autant que vous le pouvez !
Les injonctions de santé que vous dénoncez n'ont-elle pas contribué à une hausse spectaculaire de l'espérance de vie ?
L'hygiénisme exagéré vers lequel nous tendons n'allonge pas significativement la vie, selon moi. L'espérance de vie a augmenté de manière spectaculaire. Pourquoi ? Le tout-à-l'égout, l'eau potable, la vaccination ont fait diminuer de manière considérable la mortalité infantile, donc l'espérance de vie. Mais celle-ci stagne désormais, on est aujourd'hui autour de 79-80 ans. Il y a même des pays où elle diminue, comme aux Etats-Unis, principalement à cause des opiacés. Ce sont les progrès scientifiques et techniques, et non notre actuel hygiénisme, qui ont fait reculer l'âge de la mort de manière significative. Les injonctions de santé (ne pas boire, ne pas manger gras…), quand elles exagèrent, peuvent même être contre-productives. Il y a aujourd'hui un fantasme autour du sucre : tout le monde en a peur car il nourrirait les cellules cancéreuses. C'est une connerie totale ! Une cellule, cancéreuse ou non, ne sait manger que du sucre ; d'ailleurs, elle ne s'en nourrit pas, elle l'utilise pour brûler du phosphore, qui lui donne l'ATP, lequel permet l'énergie cellulaire. C'est comme pour les perturbateurs endocriniens : leur principal danger, ce n'est pas le cancer, c'est la stérilisation de l'homme.
Heureusement, nous ne sommes pas tenus de suivre à la lettre toutes les injonctions que nous recevons. L'interdiction, on l'a vu aux Etats-Unis avec la prohibition, n'est à mon avis pas la solution. Jouer sur les peurs non plus. L'éducation, oui, ça marche. Je défends comme personne la prévention du cancer, mais à un moment j'ai peur que trop d'injonctions, trop de d'interdictions ne finissent par déboussoler les gens. On passe d'une peur à l'autre et la raison finit par s'éloigner.
Que vous inspire la mode du jeûne ?
En cancérologie, c'est un drame. Il y a cette mythologie du jeûne profitable. L'INCa a repris 224 études et en a conclu qu'il n'y avait aucune preuve de son bienfait ; probablement même qu'il était dangereux pour les malades atteints de cancer. Le jeûne à usage philosophique ou religieux, pourquoi pas, je vais moi-même souffrir cette semaine pour le Grand Pardon, mais le jeûne thérapeutique, c'est une horreur. On le voit bien en soins palliatifs avec ces patients qui se sont laissé berner par un gourou qui leur a conseillé les privations. C'est comme les régimes. On en parle depuis trente ans et il y a de plus en plus d'obèses.
Pourquoi ?
Parce qu'ils ne marchent pas. Les interdits sont tellement brutaux qu'on reprend les kilos aussi vite qu'on les a perdus.
Quel bon vivant êtes-vous ?
Je préfère les bistrots aux restaurants gastronomiques. J'aime le contact frontal avec un plat : on me met l'assiette sous le nez et aussitôt je me dis que ça va être bon ! Si je vais au restaurant, c'est pour y manger un plat précis. C'est comme au cinéma : j'y vais pour y voir un film, pas une salle. De temps en temps, je goûte mais, généralement, je fais prendre les nouveautés à ma femme. Mais je peux aussi m'éclater avec une boîte de thon ou un bon pain beurré.
Vos restaurants favoris ?
Il y en a tant ! L'Auberge bressane pour son vol-au-vent et ses quenelles, délicieuses. Chez Benoît, la tête de veau est un régal. Chez Christian Constant (Le Violon d'Ingres), je choisis généralement la crépinette de pied de porc accompagnée d'une très bonne purée. J'adore aussi le sushi de betteraves et le gratin d'oignons d'Alain Passard. Si je veux manger de très bonnes frites, les meilleures de Paris, je vais A la biche aux bois, dans le 12e arrondissement où elles sont servies à volonté avec le menu à 21 euros. Celui que j'admire par-dessus tout, c'est Guy Savoy. J'aime la simplicité, savoir ce que je vais manger. Si je suis né en Tunisie, je me sens bien plus français que juif ou je ne sais quoi d'autre. La France, je l'adore pour la diversité de ses terroirs. Je mange de tout, sauf des insectes !
Que dites-vous aux végans et autres antispécistes ?
Que l'animal est un être vivant, mais pas un humain. Si vous êtes végan par plaisir ou conviction philosophique, c'est votre liberté. Je place la liberté au-dessus de toutes les vertus, au-dessus de la santé et de tout le reste. La contrepartie, c'est de ne pas imposer ses choix aux autres. Le journaliste Christian Malard m'a raconté qu'un jour le président iranien était en visite officielle à Paris. Il fait dire à Chirac qu'il ne souhaite pas de vin à table. Le président refuse et lui dit en substance : vos invités ne boiront pas de vin, mais il y en aura pour les miens. L'autre persiste et Chirac lui fait cette réponse admirable : « Eh bien, tant pis, il n'y aura pas de dîner d'Etat. »
Le végan ne vivra-t- pas plus longtemps ?
Ah ça non ! En tout cas, rien ne le prouve. Mais la vie sans gras, sans charcuterie, ça doit être très long…
SÉBASTIEN LEBAN POUR « LE POINT » |
Bon dimanche
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